DROP 7mn
La main à la pâte, les pieds dans l’eau
Et s’il suffisait d’enfiler son maillot de bain pour aider les chercheurs ?
Grâce à l’écovolontariat et aux sciences participatives, l’océan devient un terrain d’observation accessible à tous. Touristes curieux, citoyens engagés, simples flâneurs du littoral : chacun peut contribuer à mieux le comprendre et le protéger. Enquête sur ces pratiques qui donnent au voyage un sens nouveau… et qui, en pleine rentrée, nous rappellent comme un parfum de crème solaire.
Quelques chiffres
- 80 700 signalements de matériel ou de débris de matériel de pêche effectués via Fish & Click depuis 2020.
- 60% des eaux colorées ne seraient pas détectées sans Phenomer.
- 15 années de données collectées sur les dauphins de Rangiroa grâce à l’écovolontariat.
- 15 000 images annotées par 1 500 personnes "Espions des grands fonds" avec Ifremer. L'équivalent de 78 jours de travail d'analyse scientifique.
« Ils viennent parce qu’ils ont envie d’apporter leur contribution, ils repartent avec une autre façon de voir la mer. » Chaque année, à Rangiroa, en Polynésie française, la Docteure en éthologie / écologie comportementale Pamela Carzon le constate : certains voyageurs ne se contentent plus d’un décor de carte postale, ils veulent passer à l’action ! Retraités, étudiants, couples, ils ne sont pas scientifiques mais ils sortent des circuits touristiques habituels pour s’engager.
L’écovolontariat, c’est cette façon active et concrète de voyager, tout au long de l’année, en donnant de son temps sur le terrain. Observation et protection de la biodiversité, collecte de données scientifiques, sensibilisation, il existe différentes manières de s’impliquer. L’association co-fondée par Pamela Carzon, Dauphins de Rangiroa, s’adresse à des plongeurs aguerris, motivés à l’idée de mettre leurs palmes au service de la protection de dauphins sédentaires menacés par un tourisme intrusif.
Pour autant, pas besoin de nager comme Léon Marchand pour ajouter sa goutte d’eau à l’océan ! Grâce aux projets de sciences participatives, il suffit d’un œil curieux et d’un smartphone pour jouer les apprentis explorateurs. L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) développe des programmes auxquels tout le monde peut prendre part, sans diplôme de plongée ni bouteille d’air. Car que l’on soit océanographe averti ou simple badaud, une mer vert fluo… ça interroge ! Les changements de couleur de l’eau sont souvent liés à la présence de microalgues dont le rôle est clé dans l’écosystème marin mais qui peuvent, en cas de prolifération, entraîner des déséquilibres. Grâce à Phenomer, il suffit de prendre une photo et d’envoyer son signalement sur le site ou l’application dédiée pour lancer l’alerte.
Autre projet porté par Ifremer qui sollicite la participation des curieux de l'océan, "Espions des Océans". Après l'exploration des grands fonds, Ifremer recrute des espions volontaires pour percer les mystères des côtes bretonnes ou des récifs profonds. Pas de plongée mais de l'observation d'images pour repérer des espèces marines.
Même logique avec Fish & Click qui mobilise les citoyens pour repérer les engins et débris d’engins de pêche abandonnés. Filets emmêlés, cordages oubliés, casiers échoués… tout peut être photographié, géolocalisé et transmis via la plateforme. Souvent, ces gestes simples créent de véritables déclics.
Elles font la science
-
Docteure en éthologie / écologie comportementale, elle a co-fondé l’association Dauphins de Rangiroa qui œuvre pour la recherche scientifique et participative, la conservation, la sensibilisation et le partage d'informations sur les grands dauphins de l'atoll de Rangiroa.
« La surexploitation de la passe de Tiputa met les dauphins en danger. Grâce à l’écovolontariat, on documente ces pressions pour mieux les faire connaître et les limiter. » Pamela Carzon
-
Au laboratoire Ifremer de Concarneau, elle coordonne Phenomer, un programme de sciences participatives dédié à l’observation des microalgues, au croisement entre recherche et vigilance citoyenne.
« La science est un domaine passionnant, ouvert à tous. Pourtant il semble inaccessible, surtout pour les jeunes filles. Avec Phenomer, il y a des vocations qui peuvent naitre très simplement, par une simple observation sur la plage. » Anne Doner
-
Ingénieure au Laboratoire technologie et biologie halieutique Ifremer, elle co-pilote Fish & Click, un projet qui mobilise les citoyens contre la pollution par les engins de pêche abandonnés sur le littoral et en mer.
« Nous avons très souvent notre téléphone portable dans la poche. Marcher sur la plage avec ses enfants et leur lancer le défi de partir à la recherche des débris des engins de pêche rend la balade encore plus ludique et permet de contribuer à la science. » Sonia Méhault
Une photo, un déclic
À Rangiroa, Pamela Carzon commence d’ailleurs à voir revenir d’anciens volontaires : « Les gens nouent un lien avec les dauphins et le rythme de l’atoll, bien sûr, mais ils ont aussi le sentiment de participer à quelque chose qui les dépasse. » Anne Doner, coordinatrice du programme Phenomer, fait le même constat : « Tout d’un coup, on voit et on reconnaît ce qu’on ignorait. En apprenant à décrypter les changements de couleur de l’eau, les participants de Phenomer découvrent l’importance vitale des microalgues dans la vie marine. Invisibles à l’œil nu, elles produisent une part essentielle de l’oxygène que nous respirons. » Et parfois, il suffit d’un cliché pour changer son rapport à l’océan.
« Il y a du plaisir à comprendre, confirme Sonia Méhault, co-pilote du projet Fish & Click, mais cela peut s’accompagner d’un sentiment amer : repérer un filet fantôme, c’est aussi prendre conscience de l’ampleur d’une pollution invisible. » Pour nourrir cette prise de conscience, l’Ifremer mène régulièrement des campagnes de sensibilisation que ce soit sur les plages ou , dans les festivals et auprès des scolaires. L’objectif : inviter sur la plage les habitués du rivage comme les vacanciers de passage pour les initier à la collecte, en restant ludique. Car cela reste le meilleur moyen de fédérer ! Une notion de plaisir que Pamela Carzon ne renie pas : « On s’adapte aux envies et au rythme de chacun : on n’est pas là pour faire un stage commando ! » Ce qui n’empêche pas l’impact…
Mieux que des likes, de la data !
L'océan, c’est leur labo, et à Rangiroa, comme ailleurs, les scientifiques ne peuvent pas être partout. Alors les citoyens prennent le relais. « On les forme à reconnaître les comportements des dauphins, photographier les nageoires dorsales pour identifier les individus et consigner les interactions », explique Pamela Carzon. Résultat ? Un suivi unique, au fil des saisons et même des années. « C’est vraiment une aide précieuse : les volontaires nous permettent de multiplier les plongées, d’avoir une régularité et une densité de données qu’on ne pourrait pas atteindre autrement », poursuit la naturaliste.
Anne Doner partage ce point de vue : « Nous ne pouvons pas être partout, tout le temps, explique-t-elle. Nous sortons en mer deux fois par mois pour faire des prélèvements : un rythme trop espacé pour identifier certains phénomènes qui, parfois, ne sont visibles que quelques heures. » Les signalements permettent alors d’intervenir plus vite. La chercheuse se souvient que, grâce à une alerte lancée à Roscoff, les scientifiques ont pu prélever un échantillon et identifier Trichodesmium erythraeum, une micro-algue tropicale encore jamais observée en France métropolitaine. « Sans ce signalement, on serait complètement passé à côté ! »
Les signalements géolocalisés permettent aussi de dresser une cartographie fine et évolutive des zones observées. Dans le cadre du projet Fish & Click, l’objectif n’est pas de tirer des conclusions à partir d’un cas isolé mais de croiser un maximum de données, sur la durée, pour dégager des tendances solides. « Plus la base est nourrie, plus elle devient fiable », souligne Sonia Méhault. Et c’est justement parce qu’elle s’adresse à tous les usagers de la mer que l’initiative peut couvrir l’ensemble des milieux, du sable au grand large.
Grâce à cette mobilisation citoyenne collective, des réalités sont mises en évidence : « Ce qui nous a le plus marqués dans les signalements, poursuit l’ingénieure, ce sont les petits débris. On n’y prête pas toujours attention mais, mis bout à bout, leur présence est énorme. »
Sur la plage, en mer, dans un lagon, plus besoin de thèse ni de doctorat pour se rendre utile. Chaque regard compte et parfois, il suffit d’un cliché pour faire avancer la recherche. Une idée à noter dans un coin de son agenda pour une future escapade aussi iodée qu’inspirée !